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N� 4441

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ASSEMBL�E NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZI�ME L�GISLATURE

Enregistr� � la Pr�sidence de l’Assembl�e nationale le 6 mars 2012.

PROPOSITION DE LOI

visant � reconna�tre officiellement
le g�nocide vend�en de 1793-1794,

(Renvoy�e � la commission des affaires culturelles et de l’�ducation, � d�faut de constitution
d’une commission sp�ciale dans les d�lais pr�vus par les articles 30 et 31 du R�glement.)

pr�sent�e par Mesdames et Messieurs

Dominique SOUCHET, V�ronique BESSE, Bernard CARAYON, Herv� De CHARETTE, Nicolas DHUICQ, Marc LE FUR, Lionnel LUCA, Jacques REMILLER et Jean UEBERSCHLAG,

d�put�s.

EXPOS� DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Pourquoi, apr�s avoir l�gif�r� sur les g�nocides juif et arm�nien, devons-nous imp�rativement nous prononcer sur le g�nocide vend�en ?

Parce que les faits sont d�sormais clairement �tablis.

Le travail des historiens

La recherche universitaire a longtemps �t� verrouill�e id�ologiquement et quasi muette sur les �v�nements de Vend�e. Mais, � partir de 1986, elle commence � leur consacrer des travaux importants, auxquels le colloque de 1993 � La Vend�e dans l’histoire ï¿½ donnera une impulsion d�cisive. �tudes monographiques, synth�ses d�mographiques, analyse serr�e des correspondances du Comit� de salut public avec les repr�sentants en mission, d�pouillement minutieux des comptes rendus des op�rations militaires men�s par les g�n�raux r�publicains, l’ensemble de ces travaux r�v�le, sans aucune contestation possible d�sormais, que les �v�nements de Vend�e de 1793-1794 r�unissent toutes les composantes d’un g�nocide :

– une volont� politique de destruction syst�matique d’une population stigmatis�e ;

– une extermination planifi�e et organis�e ;

– un bilan humain �quivalent, en proportion de population, � celui du g�nocide cambodgien.

Les chercheurs nous montrent comment la r�pression d’un soul�vement d�clench� pour pr�server une libert� fondamentale, la libert� de conscience, va se muer tr�s rapidement en politique d’extermination d’une Vend�e �rig�e en objet id�ologique vou� � la d�testation nationale.

La volont� exterminatrice appara�t tr�s t�t. D�s les premiers jours du soul�vement, Goupilleau, d�put� de la Vend�e, refuse l’id�e m�me d’�change de prisonniers, au motif qu’on ne rend pas des esclaves (les Vend�ens) contre des hommes libres (les citoyens). D�s lors que l’on d�shumanise son adversaire, qu’on lui d�nie sa condition humaine, la porte est ouverte � la justification de son extermination.

Le 19 mars 1793, les d�put�s de la Convention cr�ent la cat�gorie juridique de � hors la loi ï¿½, qui va s’appliquer aux Vend�ens, qui d�sormais ne sont plus des citoyens. Le 12 juin, les repr�sentants Mazade, d�put� de Haute-Garonne, et Garnier, d�put� de Charente-Inf�rieure, recommandent au Comit� de salut public la d�portation de la population.

Par la loi du 1er ao�t, les d�put�s de la Convention d�cident, pour mieux exterminer les rebelles, de d�porter les femmes, les enfants et les vieillards et d’enlever les bestiaux et les r�coltes pour affamer le pays.

Tr�s t�t �galement l’id�e est n�e de tout incendier sur cette � terre maudite ï¿½. D�s le 24 mars les repr�sentants Auguis, d�put� des Deux-S�vres et Carra, d�put� de Sa�ne-et-Loire, proposent de br�ler tous les villages insurg�s. Plus tard, le repr�sentant Merlin, d�put� de la Moselle, exige la destruction du bocage : � C’est le sol lui-m�me qu’il faut combattre aujourd’hui ï¿½. Le 7 novembre, Fayau, d�put� de la Vend�e, r�clame l’envoi d’une arm�e incendiaire.

La machine infernale est lanc�e. Elle va �tre aliment�e par un v�ritable d�lire id�ologique. D�put�s de la Convention, membres du Comit� de salut public et d�put�s envoy�s sur place comme repr�sentants en mission vont se livrer � une surench�re permanente et c’est � qui inventera les m�thodes et les moyens les plus s�rs et les plus effroyables pour que l’extermination soit la plus efficace et la plus totale possible. Non seulement cette rh�torique meurtri�re rend possible le crime, mais elle le justifie par avance.

Le 5 septembre, le dispositif l�gislatif s’affine encore. Une nouvelle loi stipule que les � brigands ï¿½ doivent �tre extermin�s, apr�s avoir pr�cis� que tous les Vend�ens de dix � soixante ans sont des � brigands ï¿½ et que les femmes sont � complices ï¿½.

La vis�e exterminatrice appara�t �galement dans la conduite m�me des op�rations militaires. Il est acquis tr�s t�t qu’on ne fera pas de prisonniers du c�t� r�publicain. Lors des batailles d�cisives du Mans et de Savenay, on ne distingue pas entre les combattants et la population civile qui les accompagne. Les charniers des Jacobins confirment que les enfants, les adolescents, les femmes et les vieillards ont �t� sabr�s, tout comme les combattants.

Enfin, la phase la plus caract�ris�e du g�nocide intervient une fois la Vend�e militairement vaincue, alors que le massacre syst�matique ne peut plus s’abriter derri�re la moindre justification militaire.

C’est apr�s l’�crasement complet de ce qui restait des arm�es vend�ennes � Savenay, que Carrier, d�put� du Cantal, proc�de � Nantes aux grandes noyades et aux fusillades massives de prisonniers vend�ens, qui seront qualifi�es par Babeuf de � syst�me de d�population ï¿½. C’est alors qu’il lance sa terrible sentence : � C’est par principe d’humanit� que je purge la terre de la libert� de ces monstres ï¿½. Ce qui guide la main du bourreau, c’est l’amour pour le genre humain : c’est � un � massacre humanitaire ï¿½ qu’il proc�de.

C’est au lendemain de Savenay que Turreau demande au Comit� de salut public d’approuver son plan de colonnes incendiaires destin�es � � traverser la Vend�e pour assurer l’an�antissement total des rebelles ï¿½. En janvier 1794, c’est sur une Vend�e vaincue, prostr�e, d�sarm�e, exsangue que Turreau lance ses douze colonnes vite qualifi�es d’� infernales ï¿½ qui vont inscrire sur le sol vend�en autant de routes de sang et de feu.

Pour stimuler l’ardeur des g�n�raux g�nocidaires, Carrier intime � Cordelier, celui-l� m�me qui massacrera aux Lucs-sur-Boulogne 110 enfant de moins de sept ans, de � mettre au nom de la loi le feu partout et de n’�pargner personne, ni femmes, ni enfants, de tout fusiller. Rien n’est plus beau que de savoir sacrifier tous sentiments humains � la vengeance nationale ï¿½.

Les repr�sentants Hentz, d�put� de la Moselle, et Garrau, d�put� de la Gironde, leur rappellent que � la guerre de Vend�e ne sera compl�tement termin�e que quand il n’y aura plus un habitant dans la Vend�e ï¿½. Le d�put� de la Mayenne, Dubois-Cranc�, tient un langage clair : � Les r�volutionnaires ne pourront se reposer que lorsque ce pays sera d�sert ï¿½.

Les r�sultats sont au rendez-vous.

� On a vu, rapporte Lequinio, d�put� du Morbihan, des militaires r�publicains violer des femmes rebelles sur les pierres amoncel�es le long des grandes routes et les fusiller ou les poignarder en sortant de leurs bras. On en a vu d’autres porter des enfants � la mamelle au bout de la ba�onnette ou de la pique qui avait perc� du m�me coup et la m�re et l’enfant ï¿½.

Le capitaine Dupuy, du bataillon de la Libert�, t�moigne en toute bonne conscience : � Partout o� nous passons, nous portons la flamme et la mort. L’�ge, le sexe, rien n’est respect�. C’est atroce, mais le salut de la R�publique l’exige imp�rieusement ï¿½.

Les d�put�s Hentz, Garrau, Prieur, d�put� de la Marne, et Francastel, d�put� de l’Eure, rapportent le 4 mars au Comit� de salut public : � La Vend�e offre le spectacle du carnage et de la d�solation ; partout le silence et l’horreur. Cette guerre ne finira que par la mort du dernier Vend�en, et tous auront m�rit� leur sort ï¿½. Toujours la bonne conscience.

Les d�put�s Hentz et Francastel �crivent encore : � Nous les tuons en d�tail en faisant p�rir tout ce qui se trouve dans le pays. Quand la guerre de la Vend�e sera compl�tement termin�e, il n’y restera point d’habitant, puisqu’on y aura tout d�truit ï¿½.

Ces correspondances permettent d’approcher l’univers mental des g�nocidaires, en montrant comment la volont� id�ologique de faire le bonheur de l’humanit� en g�n�ral peut conduire � la massacrer en d�tail, sans pour autant engendrer un quelconque sentiment de culpabilit�.

***

Le devoir des parlementaires

� partir de ces faits, d�sormais solidement �tablis, pourquoi la repr�sentation nationale doit-elle aujourd’hui prendre position ?

Parce que l’injustice de l’histoire officielle s’est nourrie du silence entretenu par tous les pouvoirs et r�gimes successifs, qui semblent s’�tre conjur�s pour cacher � la France le prix qu’elle a pay� � la Terreur, particuli�rement en Vend�e. La quasi-totalit� des bourreaux de la Vend�e a �t� blanchie et l’�tat n’a engag� aucune r�flexion de fond sur sa responsabilit� dans le d�clenchement du processus d’extermination. Jamais encore, pourtant, un �tat n’avait entrepris une telle ex�cution collective en la justifiant au nom du bonheur du peuple. Ce long silence officiel doit �tre rompu. Ce d�ni doit cesser, car qu’est-il d’autre que la poursuite dans le pr�sent de l’acte g�nocidaire ?

Parce que l’ampleur des recherches effectu�es depuis le d�but des ann�es 1980 sur les �v�nements de Vend�e a permis d’�tablir clairement l’intention exterminatrice et permet aujourd’hui de regarder en face cette page majeure de notre histoire et de mettre fin � une longue p�riode de d�ni officiel.

Parce que ces recherches font appara�tre l’�crasante responsabilit� de la repr�sentation nationale dans la conception et la mise en œuvre du g�nocide vend�en. Notre Parlement doit aux victimes et � leurs descendants une r�paration morale qui doit se traduire par la reconnaissance de l’�preuve atroce qui leur fut inflig�e par les autorit�s l�gales de notre pays, dans le cadre d’un corpus l�gislatif �labor� et vot� par les d�put�s de la Convention. Le fait d’op�rer dans un cadre l�gislatif a donn� bonne conscience aux bourreaux. Le terrorisme d’�tat et la politique d’extermination dont les Vend�ens ont �t� l’objet doivent �tre � la fois clairement reconnus et profond�ment regrett�s.

Parce que malgr� l’ampleur de leurs recherches, les historiens constatent que leurs travaux n’ont pas suffi � rompre le silence et � briser le d�ni. L’un d’eux d�clarait en janvier 2012 : � Le sacrifice des Vend�ens n’a jamais �t� vraiment int�gr� dans l’histoire globale de la nation. Pour combien de temps encore ? ï¿½ Ce constat appelle une d�marche proprement politique de la part de la repr�sentation nationale.

Parce que le pays de la D�claration des droits de l’homme et du citoyen ne peut plus garder le silence et persister dans la non-reconnaissance officielle. Il ne peut plus taire que, quelques ann�es seulement apr�s sa proclamation, cette d�claration a �t� outrageusement viol�e en Vend�e par ceux l� m�me qui s’en pr�valaient.

Parce qu’aucune revendication fractionnelle n’a jamais anim� les rescap�s de l’extermination et leurs descendants. La reconnaissance par la nation de l’�preuve inou�e qu’elle a inflig� � la Vend�e est d’autant plus justifi�e que celle-ci n’a pas bascul� dans le s�paratisme. Alors qu’ils avaient �t� d�sign�s comme objet de la � vengeance nationale ï¿½, les Vend�ens ont r�sist� � la tentation de nourrir des aspirations anti-nationales. La Vend�e n’a pas retourn� contre la nation � l’�lection de haine ï¿½ dont elle a �t� l’objet. Non seulement il n’y a pas eu d’attentats contre les fonctionnaires, mais 120 ans apr�s les massacres de masse dont ils ont �t� les victimes, les Vend�ens ont vers� leur sang pour la patrie, au cours de la guerre 1914-1918, comme aucun autre d�partement ne l’a fait. La Vend�e a donn� � la France les h�ros de deux guerres mondiales : Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny. La pr�sente d�marche n’a donc strictement rien � voir avec l’exaltation identitaire d’un groupe m�moriel qui chercherait � se faire reconna�tre au d�triment de l’unit� nationale.

Parce qu’il nous appartient de mettre en lumi�re non seulement le processus d’extermination dont furent victimes les Vend�ens, mais aussi la volont� de ces derniers de surmonter le ressentiment qu’engendre naturellement toute entreprise g�nocidaire. Il nous appartient d’inclure dans le r�cit national cette page de notre histoire politique avec sa part d’ombre et sa part de lumi�re.

La r�ception de leur propre g�nocide par les Vend�ens contient l’antidote au poison que tout processus d’extermination suscite naturellement. Au lieu de s’enfermer dans le ressassement morbide et sans fin du malheur, le � Souvenir vend�en ï¿½ pr�f�ra exalter les exemples d’humanit� que les Vend�ens surent opposer � la logique d�shumanisante des grands massacres. Ainsi des lib�rations massives de prisonniers que leur inspir�rent leurs convictions religieuses et que le � Gr�ce aux prisonniers ! ï¿½ de Bonchamps, immortalis� par David d’Angers, r�sume. Face � l’emballement id�ologique qui a nourri le processus g�nocidaire et l’a emport� vers toujours plus de radicalit�, nous devons mettre en �vidence la recherche r�aliste par les Vend�ens d’une canalisation de la violence.

***

� Depuis deux-cents ans, d�clarait en 1994 Fran�ois Furet, la R�publique a laiss� la Vend�e seule avec son malheur ï¿½. Le temps ne serait-il pas venu de r�pondre � l’appel en faveur de � l’union sacr�e de la m�moire ï¿½ lanc� par Alain Decaux depuis le village martyr des Lucs-sur-Boulogne le 25 septembre 1993 ?

� Reconna�tre ce qui a �t� et le regretter publiquement, voil� qui doit contribuer � apaiser une douleur qui, deux si�cles apr�s, vit toujours ici derri�re toutes les haies et sous les pierres de tous les chemins ï¿½. Alain Decaux, qui regrettait que dans le manuel scolaire de son enfance, les massacres de Vend�e n’aient droit qu’� deux lignes, avait aussi d�clar� : � J’ai cru que la R�publique se grandirait d�s lors qu’un historien r�publicain viendrait publiquement affirmer que les droits de l’homme ont �t� bafou�s en Vend�e ï¿½.

C’est dans cette perspective trac�e par notre grand historien que s’inscrit la pr�sente proposition de loi. Elle n’a pas pour objectif de diviser, mais au contraire de r�concilier la France avec elle-m�me, en int�grant pleinement dans sa m�moire officielle cette page � la fois obscure et lumineuse : celle d’une extermination qui n’a pas d�bouch� sur un d�sir inextinguible de vengeance. Mais aux victimes et � leurs descendants, d�pourvus de haine, il faut rendre justice.

C’est pourquoi la proposition de loi pr�voit une reconnaissance, qui t�moigne d’un regret profond, mais non la p�nalisation d’un n�gationnisme qui n’a plus de raison d’�tre.

En reconnaissant officiellement le g�nocide vend�en, � premier g�nocide contemporain ï¿½ comme l’a soulign� Gilles-William Goldnadel, notre pays r�affirmera sa condamnation de tous les g�nocides, et contribuera � �viter que de tels processus barbares ne se reproduisent � l’avenir.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

La R�publique Fran�aise reconna�t le g�nocide vend�en de 1793-1794.


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