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12/01/2010 - Hommage solennel � Philippe S�guin

Madame,

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Ministre charg� des relations avec le Parlement,

Mes chers coll�gues,

En septembre 1944, dans les combats pour la lib�ration de la France, le 4e R�giment de tirailleurs tunisiens monte la c�te de Ferri�res, en Franche-Comt�. L’aspirant Robert S�guin, vingt-trois ans, est arr�t� par les balles allemandes. Il laisse � Tunis un fils de seize mois, n� le 21 avril 1943, � l’intention de qui il a griffonn�, sur un carnet, ces quelques mots qui seront tout son testament : � Adieu mon fils, sois un homme loyal, honn�te et droit. ï¿½

Cette ligne de conduite, Philippe S�guin l’a suivie, fid�lement. Pupille de la Nation, il a rempli ses devoirs.

Le 2 avril 1993, �lu au fauteuil que j’occupe aujourd’hui, il d�dia l’honneur de cette �lection � ce p�re qui � ï¿½ l’appel du g�n�ral de Gaulle, tomba � l’entr�e d’un petit village du Doubs ï¿½.

Dans cet h�micycle retentit encore l’�cho de sa voix, � la fois chaleureuse et grave comme lui. Jeune d�put� des Vosges, il n’avait pas attendu longtemps avant de prendre la parole. Sa premi�re question au Gouvernement, le 10 mai 1978, portait d�j� sur l’emploi, au moment o� les difficult�s de l’industrie textile frappaient durement son d�partement. Et d�j� son premier discours, le 27 juin 1978, visait � d�fendre les moyens en personnel de la Cour des comptes. Prot�ger le pouvoir d’achat des salari�s, tout en contr�lant scrupuleusement l’usage des deniers publics : c’�tait il y a presque trente-deux ans, mais force est de constater que ces deux exigences sont rest�es pour lui primordiales, tout au long d’une carri�re hors du commun.

Orateur d’exception, Philippe S�guin se fait vite remarquer par un irrempla�able m�lange de conviction et d’ouverture. Conviction d’un jeune gaulliste qui a le sens de la formule, et qui poss�de au plus haut degr� l’art de pourfendre l’adversaire, conviction d’un d�put� actif qui se r�v�le pleinement dans la farouche opposition qu’il anime apr�s l’alternance de 1981. Mais ouverture d’esprit, sens de l’�coute, ind�pendance d’un vrai r�publicain pour qui l’adversaire n’est pas l’ennemi, et qui sait reconna�tre l’argument juste, y compris quand il vient d’en face.

Philippe S�guin orateur, c’est ce d�put� qui, le 17 septembre 1981, se d�clare favorable � l’abolition de la peine de mort, osant m�me parler contre la question pr�alable d�fendue par la droite : comme il le rappelle alors � tous ses coll�gues, � le respect de la vie et le souci de la paix sociale sont des pr�occupations dont on peut bien admettre sans d�choir qu’elles sont partag�es ï¿½.

Chez lui, la conscience prime la consigne. En 1986, nomm� ministre des Affaires sociales et de l’Emploi au sein d’un gouvernement qui pr�sente une alternative lib�rale, il cultive le dialogue avec les partenaires sociaux. En 1992, fid�le � ses convictions, et croyant devoir choisir entre l’Europe de Maastricht et la Nation, il se fait le h�raut d’une France qui veut dire � non ï¿½ au f�d�ralisme.

Pour autant, Philippe S�guin n’�tait pas de ceux qui se laissent enfermer dans un nationalisme �troit et sans vision. Sa circonscription d’�pinal, o� il �tait fier d’avoir �t� � adopt� ï¿½ par les Vosgiens, formait le centre d’un vaste polygone qui exc�dait largement les fronti�res nationales : Tunis, sa ville natale ; Draguignan o� il avait grandi avec sa m�re institutrice dont la perte r�cente l’a si profond�ment affect� ; Aix-en-Provence o� cet enfant de la m�ritocratie r�publicaine poursuit ses �tudes ; Paris o� le jeune �narque commence � servir nos institutions ; mais aussi la Polyn�sie o� il fait son stage en 1968, Montr�al o� il a enseign�, et Gen�ve o� il a repr�sent� notre pays au sein du Bureau International du Travail.

� Ma France n’appartient pas qu’aux seuls Fran�ais ï¿½, d�clarait-il en 1995. Cet homme de culture comprenait intimement la complexit� du monde musulman et la subtilit� des liens qui unissent depuis longtemps les deux rivages de la M�diterran�e. Mais ce M�diterran�en visc�ral regardait aussi par-del� l’Atlantique. Il savait la valeur de l’amiti� franco-am�ricaine, tout en d�fendant l’exception fran�aise avec ferveur. Philippe S�guin n’oubliait pas non plus nos cousins d’Am�rique, ce Qu�bec qu’� l’exemple de son illustre mod�le il aurait voulu libre, suscitant parfois quelques remous dans le monde feutr� de la diplomatie… Et c’est d’ailleurs sur ces � arpents de neige ï¿½ de la Nouvelle-France, quand il ressentit le besoin de prendre du recul et de se consacrer aux travaux de l’esprit, qu’il trouva une forme de s�r�nit�, en tant que chercheur invit� aupr�s de l’Universit� du Qu�bec � Montr�al.

Philippe S�guin professeur de g�opolitique, c’�tait le praticien qui devenait th�oricien, l’homme d’exp�rience qui transmettait, non un savoir abstrait, mais une certaine id�e de la France et du monde, telle qu’il la retirait d’une vie d’engagement et de combat.

Une id�e d’autant moins abstraite qu’elle s’enracinait profond�ment dans l’Histoire. L’histoire, cette autre discipline qu’il aimait au plus haut point et dans laquelle il s’illustra avec brio. Comment oublier que cet authentique r�publicain, rompant avec la tradition h�riti�re de Victor Hugo, entreprit de r�habiliter la m�moire de Napol�on III, substituant au personnage caricatural de Badinguet la vision d’un empereur moderniste et soucieux du bien commun, qui �quipa et enrichit la France ? Comment ignorer que, Pr�sident de l’Assembl�e, il publia la � saga ï¿½ des 240 hommes d’�tat qui, de Jean-Sylvain Bailly � lui-m�me, avaient pr�sid� les assembl�es fran�aises ? Du serment du Jeu de paume � la Cinqui�me R�publique, courait pour lui le fil rouge de la conscience d�mocratique : les ruptures n’effrayaient pas Philippe S�guin, et pourtant ce qui dominait chez lui restait le sentiment d’une grande continuit� historique, d�passant les accidents et les individualit�s. C’est pourquoi aussi, devenu Premier Pr�sident de la Cour des comptes, il sut donner tout son lustre au bicentenaire de cette grande institution de la R�publique, o� il �tait entr� � vingt-sept ans et dont il d�fendit jusqu’au bout les pr�rogatives.

Mu par une haute id�e du service public, Philippe S�guin s’est montr� un r�formateur dans l’�me, partout o� il a exerc� des responsabilit�s. Il l’a prouv� comme d�put�, multipliant les rapports et les propositions de loi ; il l’a prouv� comme ministre, r�futant l’immobilisme en m�me temps que le dogmatisme ; il l’a prouv� avec �clat en tant que Pr�sident de l’Assembl�e nationale, de 1993 � 1997, puisque nous lui devons des changements aussi profonds que la session unique de neuf mois ou les s�ances d’initiative parlementaire. R�former, pour lui, constituait l’exercice noble entre tous qui permet de sauvegarder l’autorit� de l’�tat et de maintenir le pacte social. Comme il le d�clara lui-m�me, � la r�forme est indissociable de la p�dagogie et du rassemblement qui sont au cœur de la politique ï¿½.

Tel fut Philippe S�guin, un homme libre, courageux, aim� des Fran�ais autant qu’il a aim� la France, une personnalit� exceptionnelle de la Cinqui�me R�publique, respect�e par l’ensemble du monde politique.

D’un bloc il �tait ; d’un bloc il est tomb�. Cette grande voix s’est tue, nous laissant � notre tour orphelins, oui, orphelins d’un grand homme d’�tat qui aura tout donn� � la R�publique. Philippe S�guin n’est plus ; par une derni�re foucade il s’est retir� sur l’autre rive et, d�j�, il nous manque. Son �loquence, son intelligence, sa culture, sa hauteur de vues, son courroux salutaire, c’est tout cela que nous avons perdu, et aussi quelque chose de plus : l’homme attachant et passionn� dont les col�res ne faisaient qu’exprimer l’intransigeance avec laquelle il s’�tait donn� mission de d�fendre la France et de faire vivre les valeurs de la R�publique.

Aujourd’hui, en me penchant sur tout ce qui a fait la vie pleine et d�vou�e de Philippe S�guin, je me dis que notre ancien coll�gue, qui lisait tant, qui citait volontiers les grands auteurs, a d� souvent m�diter If, le po�me de Kipling.

Oui, Philippe S�guin, tu as su � rester digne en �tant populaire ï¿½ et � rester peuple en conseillant les rois ï¿½, � r�ver, mais sans laisser le r�ve �tre ton ma�tre, penser sans n’�tre qu’un penseur ï¿½ ; tu as pu � ï¿½tre dur sans jamais �tre en rage ï¿½, � rencontrer Triomphe apr�s D�faite et recevoir ces deux menteurs d’un m�me front ï¿½.

Oui, comme le voulait le jeune aspirant tomb� en 1944, tu as �t� � loyal, honn�te et droit ï¿½.

Parce que son p�re ne l’avait pas re�ue, Philippe S�guin a toujours refus� la L�gion d’honneur. Mais je veux dire � sa famille, � son �pouse B�atrice, � ses enfants Patrick, Catherine, Pierre et Anne-Laure, � ses petits-enfants, ainsi qu’� ses amis, � ses compagnons, � tous ceux qui ont �t� ses collaborateurs, l’estime que tous ici nous lui portons. Au nom de tous les d�put�s de l’Assembl�e nationale et en mon nom personnel, je leur pr�sente mes condol�ances attrist�es.

En un temps o� il semble parfois de bon ton de d�nigrer la politique, la vie de Philippe S�guin montre � tous, par l’exemple, la noblesse de l’action publique et la grandeur de l’engagement civique.

Il le disait lui-m�me : � Ma France est un id�al qui s’adresse � tous les Hommes de bonne volont�, un id�al qui se d�cline dans la magnifique devise de la R�publique. ï¿½

Telle �tait la passion de Philippe S�guin pour la France.

OSZAR »